Stéphanie Gicquel

Stéphanie Gicquel

Stéphanie Gicquel, avocate M&A devenue exploratrice et athlète d'ultrafond. Retours sur son parcours et ses objectifs audacieux.

La santé mentale est un sujet relativement large, mal connu et qui peut rebuter, peut-être parce qu’on pense tout de suite à une maladie psychiatrique ou à un problème. Pour ma part, j’en ai une image positive et, en tant que sportive, la santé mentale m'évoque avant tout la préparation mentale, le bien-être et l’optimisme. La préparation mentale fait partie de la préparation, elle est nécessaire pour accomplir son objectif. Si je n’avais pas fait attention au quotidien à mon bien-être mental, il y a clairement beaucoup de choses que je n’aurais pas pu faire. 

Comment prenez-vous soin de votre santé mentale au quotidien ? 

En tant que sportive et exploratrice, je suis accompagnée par beaucoup de personnes au quotidien comme un entraîneur, un nutritionniste et un préparateur physique. Il y a cependant encore certains aspects sur lesquels je pourrais me faire accompagner et qui montrent que j'ai encore une marge de progression devant moi - je pense surtout à la santé mentale et au sommeil. 

Ce qui m’aide le plus dans ma vie d’athlète, c’est la visualisation positive. Avant de partir pour une compétition ou une expédition, je me vois réussir, atteindre l’objectif et ça, ça me motive. C’est comme si je m’autorisais à gagner avant même d’avoir commencé. Lorsque l’on a un objectif fort en tête, qu’on a la foi qui va avec, on a l’impression d’être traversé par quelque chose de plus grand que nous. Tout le monde vous dit que c’est impossible mais vous, vous vous imaginez déjà dans la victoire. Tout ça, c’est très lié à la motivation. La motivation qui nous pousse à écouter ce qui nous fait vibrer, à se donner des objectifs qui vont en dehors de la norme. Cette motivation-là est très personnelle, nous sommes tous différents et nos rêves le sont aussi ; par conséquent, nos choix ne sont pas toujours compris de tous. 

Pour réussir une course, j’anticipe aussi les obstacles, je les visualise. Lors d’une course de 180 km, je n’avais pas anticipé certains obstacles (les douleurs gastriques ou celles aux ligaments). Et de fait, je n’ai pas réussi à les accepter car je ne les avais pas intégrées en amont. J’ai finalement abandonné : c’est une souvenir qui reste gravé en moi. Je n’ai plus jamais abandonné depuis  car je m’entraîne à visualiser ces obstacles pour mieux les accepter sur le moment. L’autre exemple, c’est celui de mon expédition en Antarctique. Pendant les mois qui ont suivi mon départ, je me projetais dans une situation d’inconfort, sous tente, dans le froid extrême et sans douche. J’ai fait des séances de cryothérapie à -160 degrés, j’ai lu des livres et des témoignages, j’ai fait des rencontres avec des explorateurs pour imaginer au mieux ce que j’allais vivre. Je me projetais parfois tellement fort que j’en venais à pleurer ! Une fois sur place, j’avais tellement anticipé le froid que ça en devenait presque un non-sujet.


Et pendant l’effort, tout se passe-t-il comme prévu ? 

Grâce à ce système de visualisation, je vis souvent bien les efforts que je connais, comme le froid ou les vagues de glace qui ralentissent ma progression. Il y a aussi les obstacles dont on m’a parlé mais que je n’ai pas encore vécu - comme la faim ressentie lors de mon expédition en Antarctique où je pesais à la fin 39 kilos seulement. Ceux-là, je les visualise grâce aux récits d’autres personnes. Et puis il y a les obstacles imprévisibles. 

Et cette aptitude à accepter l’imprévisible ne me sert pas que pendant les compétitions. Il y a quelques mois, je me suis faite renverser par une trottinette alors que je préparais les championnats du monde. J’ai eu une facture de la rotule qui m’a immobilisée pendant plusieurs semaines. Comme je ne m’y attendais pas, j’ai vécu une période de déni pendant plusieurs jours puis j’ai relevé la tête en me projetant sur l’avenir.

Il faut aussi savoir accepter les contretemps sur le chemin de l’aventure.



Y-a-t-il d'autres aspects dans la préparation mentale ? 

Bien-sûr, le stress d’avant course et les problèmes de sommeil jouent beaucoup. J’ai encore des progrès à faire sur ces points, j’y travaille. Sur des épreuves longues, il y a aussi des problèmes de concentration. Très clairement, après 24 heures de course, on n’est souvent plus concentrée sur le chrono et cela peut jouer sur notre performance finale. Il faut enfin réussir à bien maîtriser le duo corps-esprit qui a un rôle immense. On se dit souvent que c’est le mental qui va nous permettre de dépasser nos limites mais l’inverse est aussi vrai. Prendre soin de son corps peut nous permettre d’aller mieux - je pense notamment au fait de s’alimenter sainement. Quand je suis rentrée d'Antarctique, j’avais énormément de carences alimentaires. J’aurais pu penser qu’il s’agissait d’une déprime liée à la fin de mon expédition car je ne me sentais pas en forme mentalement et j’avais beaucoup de difficultés à me concentrer. En réalité, c’était bien mon corps qui envoyait un signal à mon mental ; c’est en ça que l’hygiène de vie est fondamentale pour le bien-être.

Comment viviez-vous la solitude pendant les expéditions ? 

Pendant les expéditions, je n’ai aucune nouvelle de mes proches. Je me retrouve souvent seule face à mes pensées, seule face à moi-même. Cette solitude, je la visualise en amont de chaque épreuve, ça m’aide à l’accepter plus facilement une fois sur place. C’est aussi un moment qui m’aide à me reconnecter avec moi-même, qui m’aide à comprendre ce que j’ai vraiment envie de faire. C’est un peu la même chose avec l’écriture, on traverse parfois de grands moments de solitude pour trouver les mots justes. 

Le fait d’avoir aucun accès avec son entourage, même si cela est très dur, est finalement une bonne chose. On s’épargne de toute mauvaise nouvelle qui pourrait nous impacter, nous faire perdre l’énergie dont on a pourtant bien besoin pour lutter contre les éléments - on retrouve ce même système pour ceux qui partent en sous-marin. Le moment le plus difficile finalement, c’est le premier coup de téléphone que l’on passe à la fin de l’expédition, on a toujours peur d’apprendre le pire.

Ces moments seule contrastent particulièrement avec les autres moments de ma vie où j’aime rencontrer des étudiants, des entrepreneurs, des futurs explorateurs… J’aime ce contraste, cet équilibre. 

Quel a été le déclic de votre nouvelle vie d’exploratrice ? 

Quand j’étais petite, mon rêve était de voyager et de découvrir le monde. Jeune, je m’ennuyais vite dans un environnement à mille lieux du sport et de l’exploration. J’étais très active, je faisais de la gym, du roller, mais souvent seule dans mon coin. J’ai choisi les études comme moyen de m’émanciper. J’avais conscience que pour pouvoir voyager, il fallait acquérir certains outils que je n’avais pas, il fallait que je déclenche mon projet et les écoles de commerce qui avaient des cursus très ouverts me le permettaient. Je ne me suis pas trompée car, à HEC, j’ai acquis des outils pour créer mes propres projets et parvenir à les financer.

J’ai commencé à faire des road trips à HEC, des chemins de GR, des courses de longue distance. À un moment donné, j’avais besoin d’adonner plus de temps à cette passion, de me sentir plus engagée et j’avais clairement un problème de compatibilité entre ma vie professionnelle et mes expéditions qui nécessitaitent beaucoup de temps de préparation. 

De manière générale, j’aime le changement. Et le jour où j’aurais l’impression de ne plus apprendre dans le sport de haut niveau, je n’hésiterai pas à faire un switch. Derrière tout ça, j’ai envie de continuer à aiguiser ma curiosité car j’ai conscience que la vie est courte. J’ai toujours ressenti cette forme d’urgence, cette envie pressante de ne pas perdre de temps, de me mettre en mouvement.

Pensez-vous que la santé mentale est encore un sujet tabou dans le sport ? 

Pendant de nombreuses années, ça l’a été oui. Mais depuis peu, on prend conscience de l’importance d’une bonne préparation mentale. Les sportifs de haut niveau sont désormais accompagnés s’ils le souhaitent et ils commencent à oser parler publiquement de ce sujet. Très longtemps, parler de sa santé mentale, c’était considéré comme une faiblesse, comme si on n'était pas capable de se gérer soi-même. Il y a encore des progrès à faire, c’est sûr, mais on va dans le bon sens.

Avez-vous un dernier message ?

Il faut savoir porter un regard objectif sur ses réalisations : on a tous un joyau, des qualités, des forces, on réalise tous de belles choses. Mais bien souvent, j’ai constaté qu’on avait tendance à se dévaloriser. Il faut savoir porter un regard bienveillant sur soi, cela nous aide à être plus fort mentalement, à avoir plus confiance et à se sentir plus serein au fait de sortir de la norme. 


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